Longtemps occultées, les difficultés financières des exploitations se banalisent. La chambre d'agriculture de la Creuse a mis en place une cellule d'écoute. L'association Solidarités Paysans va dans les fermes en difficulté et accompagne les exploitants dans leurs démarches amiables ou judiciaires.
Julien Rapegno julien.rapegno@centrefrance.com «Lors de ma première visite à un agriculteur qui nous demandait de l'accompagner, je me suis cru chez un revendeur de machines agricoles. Il était équipé comme un céréalier beauceron pour cultiver 10 hectares. L'agriculteur avait dix-neuf crédits en cours, il ne s'en sortait plus. Il a reconnu qu'il ne savait pas dire non aux commerciaux », relate Gilles Roy, conseiller bénévole de l'association Solidarité Paysans. Le cas décrit est extrême, mais il est aussi le reflet de la course à l'agrandissement et à la mécanisation. Dans laquelle les agriculteurs creusois ne font pas que de la figuration.
Quand la crise frappe et déstabilise, les compétiteurs les plus en pointe peuvent vaciller. Gilles Roy ne mâche pas ses mots « Il y a quelques années, les instances agricoles ne s'intéressaient pas aux faillites agricoles qui ne concernaient, bien entendu, que des petits exploitants, des bons à rien voués à disparaître [...] Aujourd'hui, parmi les exploitations fragiles, il y a celles qui ont grossi trop vite. »
En 2010, Solidarité Paysans-Creuse a traité quarante dossiers : 17 étaient des dossiers de 2009 en cours, 23 étaient des nouveaux. Les exploitations ont atteint un niveau de capitalisation très élevé alors que les droits à produire sont figés depuis la PAC de 1992 : « Les successions sont devenues un moment critique, surtout s'il y a des fratries. Celui qui reprend l'exploitation supporte d'emblée une charge financière très lourde », observe Gilles Roy. Loin de la flambée du revenu moyen des céréaliers, celui des éleveurs bovins du Limousin plafonne à un SMIC mensuel. Et il était encore 25 % en dessous en 2009. Ce qui peut expliquer la volonté de rattraper, de compenser les handicaps propres au terroir marchois. Quand la crise s'en mêle, la course peut devenir fuite en avant.
En 2010, une série de suicides sur un périmètre étroit, autour d'Auzances, a toutefois alerté. Jean-Philippe Viollet, président de la Chambre d'agriculture de la Creuse, a créé une cellule d'écoute . Le pessimisme et le malaisie sont accentués par l'isolement de l'exploitant. Les enjeux fonciers sont de plus en plus aigus, ce qui favorise l'individualisme. Quand un agriculteur trébuche : « Les voisins sont dans la cour dans la minute qui suit pour lui proposer d'acheter ses terres », image un agriculteur placé en redressement judiciaire. Le schéma qui associe performance, agrandissement et investissements lourds est encore prégnant, y compris chez les jeunes : « J'en connais un qui a des vaches sur un périmètre de 25 kilomètres. Il est toute la journée au volant de son tracteur. Il n'a pas le temps se suivre son cheptel. La qualité s'en ressent », juge un confrère qui a opté pour un système moins trépidant.
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