jeudi 28 janvier 2010

Haïti : Ne pas oublier

Comme me le dit ce matin mon fils, "on en parle presque plus d'Haïti, la misère, la douleur, le manque de tout est la et restera encore de nombreux mois, voir des années. 

 L'atmosphère était au miracle mercredi soir à l'hôpital de campagne dressé par la sécurité civile française au lycée français de Port-au-Prince où une adolescente a été transportée, dans un état de déshydratation extrême, sauvée des décombres 15 jours après le séisme. "Elle vivra. Elle a 16 ans et elle a toute la vie devant elle", dit, ému, le médecin colonel Michel Orcel. "Elle est conditionnée, son état est stabilisé. On va mettre tous les moyens sur cette patiente de façon à ce qu'elle ait de manière permanente une équipe de réanimation à son chevet", ajoute le secouriste français. La jeune fille, prénommée Darlene Etienne selon la Croix rouge, a été transportée par hélicoptère sur le Siroco, un bâtiment de la marine française qui dispose d'une unité médicale
        On ne connaît pas encore précisément le nombre de victimes du séisme qui a dévasté Haïti, mais il sera probablement l'un des plus meurtriers qu'on ait connus. Les dégâts matériels sont aussi considérables. On parle d'un taux de destruction supérieur à 15 %. Le coût de ce désastre sera gigantesque et il touche l'un des pays les plus pauvres du monde. A ces coûts directs, il convient d'ajouter les effets indirects qui risquent d'aggraver encore le processus de sous-développement dans lequel Haïti semble enfermé.

En détruisant une partie du capital productif, la catastrophe pourrait enfoncer le pays encore plus profondément dans la spirale dont il est prisonnier. Reconstruire est une nécessité, mais il faut dès maintenant envisager d'aller au-delà. Suffisamment ambitieuse, la reconstruction peut fournir l'occasion d'inverser la spirale.

L'histoire économique et politique d'Haïti au cours des trois dernières décennies est affligeante. Même si la baisse s'est récemment ralentie, le PIB par habitant a diminué de moitié depuis 1980. Au tournant du millénaire, plus de la moitié de la population était en dessous du seuil international de pauvreté extrême. L'économie survit aujourd'hui grâce à l'aide internationale (10 % du PIB) et, surtout, aux remises de salaires de la diaspora haïtienne (20 % du PIB). Cette apathie économique s'explique largement par l'instabilité politique du pays.

La situation s'est un peu améliorée, mais la dernière expulsion d'un président en exercice ne remonte qu'à 2004 et la gouvernance reste aujourd'hui extraordinairement fragile. Haïti est classé parmi les pays les plus corrompus au monde par Transparency International. La violence politique y est presque institutionnelle. Avec un service policier inadéquat et corrompu, elle a engendré une criminalité d'une rare ampleur. Comment encourager l'entreprise et attirer les investisseurs dans ces conditions ?

L'instabilité politique et une gouvernance déficiente nourrissent la stagnation économique et la misère autant qu'elles se nourrissent d'elles. Le manque de perspectives économiques et la pauvreté croissante attisent la lutte pour la survie, la violence, le crime et la corruption à tous les niveaux de la société. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent permettre de sortir d'une telle spirale. Le séisme de janvier 2010 peut en fournir l'occasion si la reconstruction est convenablement gérée. Mais il risque aussi d'enfoncer plus profondément Haïti dans le sous-développement.

Le scénario pessimiste de l'après-séisme serait en effet un processus lent de reconstruction, largement amputé par la corruption et n'empêchant pas un nouvel appauvrissement, une compétition accrue pour le peu de ressources disponibles et donc encore plus de violence et de corruption.

Le scénario optimiste serait d'aller plus loin que la reconstruction à l'identique et de viser dès maintenant une amélioration définitive des conditions de vie de la population grâce à un programme ambitieux d'assistance soigneusement contrôlé par les bailleurs de fonds. Outre l'emploi et les revenus supplémentaires générés par ce programme, de meilleurs logements, de meilleurs écoles et dispensaires et une meilleure infrastructure sont susceptibles de renverser la dégradation dans laquelle s'abîme depuis trop longtemps la société haïtienne, augurant ainsi un possible changement de régime économique et politique. Encore faut-il que la corruption ambiante et la gouvernance en place ne permettent pas, une fois encore, aux accapareurs de capturer le surcroît de ressources. Il est donc capital que les bailleurs de fonds innovent non seulement par les sommes mises à disposition, mais aussi par le type de contrôle exercé sur leur utilisation.

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