dimanche 10 janvier 2010

Le PS et l'anniversaire de la mort de Mitterrand: où est la honte?


Par Bruno Roger-Petit sur LEPOST
Hier, le PS a commémoré le 14e anniversaire de la mort de François Mitterrand.

Étrange commémoration en vérité. Si j'ai bien suivi l'affaire, le PS s'est contenté de publier en une de son site un petit communiqué, et encore, suite à des remarques de militants pour qui Mitterrand représente encore un petit quelque chose. Ce petit communiqué a indiqué que Martine Aubry et Pierre Mauroy avait déposé une gerbe aux pieds d'une statue de l'ancien président à Lille et qu'Harlem Désir avait fait de même sur la tombe de Jarnac, entouré de quelques personnes, certes très honorables, mais dont le rôle politique et historique est assez ténu. Et le petit communiqué de conclure que « Par cette commémoration, le Parti socialiste entend réaffirmer son attachement à l’héritage et aux combats de François Mitterrand ».

Comment le dire? On a le sentiment que quelque chose ne va pas. Comme si le PS avait honte du bilan mitterrandien. Et le contraste est d'autant plus cruel, que ces jours ci, seul Jospin occupe la scène auto-érigé en statue du commandeur socialiste. C'est triste. Sinistre.

L'an prochain portant, le PS va être gâté. Il pourra célébrer tout à la fois le 15e anniversaire de la mort de Mitterrand et le 30e anniversaire de la victoire du 10 mai 1981.

Si j'étais Premier secrétaire du PS, ou l'un de ses responsables, je songerais déjà à organiser un hiver-printemps 2011 festif. A un an de l'élection présidentielle, ce sera là une occasion unique de rappeler à la jeunesse martyrisée par l'actuel pouvoir, que la gauche aux affaires, ça n'a pas toujours été le « jospinisme » et son cortège austère.

Cela tomberait d'autant mieux, que ces derniers temps, le PS au mitterrandisme honteux laisse se développer l'idée que le 10 mai 1981 est devenu l'une des dates les plus funestes de l'Histoire. Hier par exemple, sous la plume de l'un des journalistes de France les plus reconnus à la radio et à la télé, je lisais ceci: « Que diront, dans cinquante ans, les historiens du 10 mai 1981, et de l’action politique qui a suivi? Sur un plan formel, le retour de la gauche au pouvoir est bien entendu un événement. Mais au plan pratique, on peut considérer que l’arrivée de cette nouvelle équipe au pouvoir fut une catastrophe tant les lignes directrices de son action se sont révélées, au bout de quelques mois, totalement erronées.
(…) On voit notamment le premier ministre de l’époque, Pierre Mauroy, la mine défaite, expliquer à l’automne 1982 qu’il convient de changer de politique fissa sous peine de voir la France décoller de son rang des puissances mondiales. Un tel aveu devrait tout de même conduire à revisiter la période et à se débarrasser enfin du romantisme politique qui l’accompagne. Les responsables socialistes de l’époque produisaient des analyses fausses sur la base desquelles ils prenaient des décisions dangereuses. Difficile, en regard des intérêts des citoyens et du pays, de considérer globalement positive l’action des gouvernants dans ces années là. »

Signe des temps, cette période est désormais jugée selon les canons imposés par les forces de l'argent. Certes aujourd'hui, on ne dit plus « forces de l'argent », je le reconnais, mais « mondialisation » ou « capitalisme mondialisé », ce qui revient au même. Et les socialistes, muets, complexés, contraints, ne disent plus rien. Ils laissent déferler la vague qui porte la révision de l'Histoire.

Le 10 mai, Mitterrand, la gauche au pouvoir? Ben enfin! Une catastrophe économique! Des hurluberlus, des analystes du faux, des types dangereux! Et au total un bilan négatif!

Curieux. Pour ma part j'ai d'autres souvenirs de la « catastrophe ». D'abord, la mine défaite des emblèmes cauchemardesques du giscardisme politico-médiatique au soir de la victoire; les Lecanuet, Deniau, Chinaud, d'Ornano, Peyrefitte, Duhamel brothers, (Alain et Patrice), Elkabbach et tous les autres. Toutes ces figures que l'on ne supportait plus et qui avaient imposé durant sept ans dans l'espace public le visage émollient et conservateur de la restauration giscardienne. Et puis le reste, l'historique. L'abolition de la peine de mort. La libération des télévisions. La retraite à 60 ans. La 5e semaine de congés payés. La semaine de 39 heures. Les lois Auroux. Le remboursement de l'IVG. La dépénalisation totale de l'homosexualité. D'une façon générale, semblait régner partout le sentiment diffus qu'enfin, une partie de la population n'était plus méprisée, moquée, négligée par la droite au pouvoir. On se sentait comme libéré, léger. La liberté se respirait mieux. On avait le sentiment que la France se réconciliait enfin avec 1789, 1848, 1936, 1945. On se disait que quelque chose avait changé parce qu'un homme était venu une rose à la main. Un indéfinissable petit bonheur qu'il fallait saisir vite de peur qu'il ne se sauve. 1981, c'était tout cela. Qu'on en juge. Était-ce vraiment « Une catastrophe »?

Certains me diront que ce jugement n'est qu'un jugement de journaliste, et qu'il n'a de fait que la valeur d'un jugement de journaliste. Je leur répondrai que c'est bien là le problème. Ce journaliste là est représentatif de l'élite journalistique contemporaine. Son audience, donc son influence sont considérables. Et c'est d'autant plus redoutable que tout ce qu'il dit, pense ou écrit, est présenté comme le fruit de la pensée journalistique la plus « objective ».

Car on aurait tort de réduire cette façon de penser 1981 à un cas isolé parmi l'élite médiatique. Je me souviens d'une conversation avec une journaliste, aujourd'hui présentatrice du 20 heures du week end sur TF1. C'était en 1989. Nous travaillions au sein de la rédaction d'Antenne 2 et causions politique. A un moment de la conversation, cette journaliste me déclara sans plaisanter que « 1981 avait eu les mêmes effets que 1936 et les congés payés de l'époque qui avaient été une catastrophe économique qui avait ruiné la France ». Je fus tellement pris au dépourvu que je ne répondis rien.

Qu'on ne se méprenne pas. Je ne fais pas reproche à ces deux journalistes connus et reconnus de penser ce qu'ils pensent. Je dis simplement que leur influence est grande et que ce mode de pensée est uniforme parmi cette caste des journalistes jouissant d'un influence et d'une audience considérable, y compris ceux dits de gauche (Joffrin?). Et par ses commémorations « low-cost » autour de la mort de Mitterrand, le PS accrédite cette idée que 1981, finalement, ce fut une catastrophe, ce qui, bien évidemment, est idéal pour préparer 2012.

J'ose cette argumentation parce que ces temps-ci, on se croirait en 1979. Nos journalistes d'influence nous le disent tous les jours. Le président sortant est imbattable. Le PS est gouverné par des hommes du passé. Mitterrand, c'était pire que Mollet. Alain Minc se prend pour Alain Peyrefitte et proclame que le pouvoir est à droite pour longtemps. Et le PS, complexé, culpabilisé, « jospinisé » laisse dire que 1981 fut une catastrophe et rend un hommage à la sauvette à celui qui, de leur point de vue et quoi qu'on en dise, fut à la hauteur de l'Histoire.

En 2011, le PS serait donc bien inspiré de sortir son mitterrandisme du placard et de se montrer à la hauteur du double anniversaire qu'il devra célébrer. Si on m'avait dit en mai 1981 qu'en 2010 il faudrait inciter les socialistes à faire leur « coming out » mitterrandien, je ne l'aurais pas cru. C'est dire qu'on est pas rendus.

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