LA COURTINE (CREUSE), MERCREDI. Depuis le début de l’année, aucun candidat ne s’est déplacé dans le département pour rencontrer des habitants comme (de gauche à droite) Thibault, cuisinier, Lise, enseignante, Gilles, patron d’une PME, Annie, patronne de l’hôtel-restaurant Au Petit Breuil, ou Jérémie, étudiant.
« Quand on vient sur le plateau, c’est pour les vaches et les chèvres, rarement pour les gens! » plaisante Annie, alias Pépette, 52 ans et sixième génération de restaurateurs à La Courtine. Comme dit son grand fils de 22 ans, « ici, on est proches de rien mais on peut aller partout! ».
A 100 km à l’est de ce village de 900 habitants du plateau de Millevaches, il y a Clermont-Ferrand, pour les grosses courses et l’hôpital. A 100 km à l’ouest, Limoges. Au nord, Guéret, la préfecture. A 80 km au sud se dessine la verte Corrèze, celle de Hollande mais surtout du « président Chirac » qui a ouvert un centre pour handicapés dans le patelin. Alors La Courtine, on l’aime ou on la quitte, comme beaucoup d’habitants l’ont fait depuis l’exode rural.D’autres ont décidé de rester et ne regrettent pas. « Ici, on vit mieux qu’à la ville, et avec moins : il y a juste l’essence qui est chère », assure Jérémie, le fils de Pépète, étudiant à Lyon, qui veut fonder sa famille dans son village. Lui refuse de « passer pour une victime ». « Le Creusois, il se sent un peu mal dans sa peau, comme s’il était tout le temps lésé », déplore-t-il. Comme sa mère, Jérémie sait d’avance qu’il votera UMP le 22 avril. Pas vraiment pour Sarkozy mais pour la droite. Un peu par sentimentalisme, un peu comme la famille. « On est chiraquiens, pas sarkozystes. Le président Chirac, il ne nous a pas laissé tomber, lui », assène Pépète. Difficile de croiser âme qui vive dans ce gros bourg un peu usé, un peu déglingué, mais au charme suranné avec ses rails envahis par les herbes folles depuis 1978, ses épiceries abandonnées en enfilade, son usine de mobilier en kit et ses 17 maisons à vendre au dernier recensement. Le village a longtemps vécu au rythme de sa caserne, l’une des plus étendues de France avec 6 500 hectares. La fin de la conscription en 2002 a été rude. vingt-trois commerçants résistent, dont une boucherie communale dans l’ancienne gare, deux épiceries, deux salons de coiffure.
Avec ses 40% de retraités, La Courtine somnole un peu mais la sieste n’est pas déplaisante. L’été, il y a la pêche au brochet, les randonnées. L’automne ouvre la chasse au sanglier et à la bécasse. Puis l’hiver rigoureux s’abat, avec la neige et les températures qui dégringolent sur le plateau rocailleux que les limousines broutent de bon cœur mais où rien ne veut pousser. « Avant, on était tous agriculteurs. Aujourd’hui, y en a plus que trois gros qui toupinent », lâche Thibault, cuisinier de 26 ans.
« Si Hollande, le député du coin, passait, il y aura peut-être quelque chose à grappiller », se prend à espérer le maire (SE) Jean-Marc Michelon. Las, aucun candidat n’a jugé bon de se déplacer dans le département depuis le début de l’année ! Comme son père, maire avant lui, cet éducateur à mi-temps se bat pour son village. En 2004, le centre de finances publiques devait fermer, alors Jean-Marc Michelon a pris sa plume pour écrire au préfet et menacer de démissionner. Vingt-huit maires rebelles l’ont suivi. Ils ont sauvé « des miettes » : une permanence un mercredi sur trois. « On est des laissés-pour-compte ! », tonne l’élu de sa grosse voix où la colère pointe tandis que le jour baisse. Chez Lulu, le bistrot du village, Luc-Laurent livre ses pronostics autour d’un kir. « La Courtine, c’est l’avant-garde de la France. Mélenchon sera à 18 ou 19. Les gens oublient que le grand-père de Chirac vendait l’Huma sur le marché d’Ussel (NDLR, à 20 km de là) », balance cet agent forestier. Ici, on mange pas avec les doigts. On a un couteau, une fourchette, une cuillère et on sait ce qui se passe dans les chaumières. »